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Les
éthers de glycol sont utilisés dans les peintures, vernis, encres,
colles, détergents, traitements anticorrosion, nettoyants ménagers
(vitres, fours...) et produits d'entretien, dans les shampoings,
les teintures et autres cosmétiques... La France en consomme quelque
30 000 tonnes par an. Ces solvants rendent soluble ce qui ne l'est
pas et facilitent la pénétration cutanée. Outre ces atouts "
miraculeux ", ils sont incolores et à odeur discrète, plutôt
agréable.
Il en existe deux grandes familles,
les éthers de type P (propylène glycol), qui seraient inoffensifs
en l'état actuel des connaissances, et les éthers de type E (éthylène
glycol). Quatre de la série E sont reconnus être
des toxiques testiculaires (baisse de la production des spermatozoïdes),
toxiques pour l'ovaire et pour le développement du foetus (malformations,
fausses couches). Un arrêté pris le 7 août 1997 interdit
la mise sur le marché de produits destinés au consommateur contenant
plus de 0,5 % de l'un de ces quatre éthers de glycol. Deux décisions
du 24 août 1999 de l'Agence française de sécurité sanitaire des
produits de santé les interdisent dans les produits cosmétiques
et les médicaments. Pour les consommateurs et les salariés, ces
résolutions ne sont que demi-mesure. Côté usagers, le seuil de
0,5 % n'apporte aucune garantie. " Si l'on peint une pièce
de 16 mètres carrés, avec ce type de peinture à l'eau, l'exposition
est mille fois supérieure au seuil de toxicité fixé pour l'homme
", proteste l'Indecosa-CGT, association de consommateurs
du syndicat.
Dès lors, de sérieux risques existent,
" notamment pour la femme enceinte ", met en garde l'association.
Quant au certificat de non-toxicité dont se parent certaines marques
de peintures et de vernis, c'est une mention, avant tout publicitaire
: elle tient compte de la vitesse d'évaporation des solvants (entre
24 et 48 heures) après application de la peinture, et pas du risque
lors de l'application.
Le problème pour le consommateur
ne s'arrête pas aux quatre éthers d'usage strictement encadré.
Spécialiste français des éthers de glycol, responsable des risques
sanitaires à l'Institut national de l'environnement industriel
et des risques (Ineris), André Cicolella, estime que : "
Les données sont suffisantes pour en classer vingt autres toxiques
pour la reproduction, tous de la série E. " " Si leur
toxicité est moindre, confirme Luc Multigner, épidémiologiste
à l'Inserm, elle n'en est pas moins avérée. " Pour les peintures,
vernis, vitrificateurs de parquet épandus sur des surfaces larges,
" l'utilisateur se trouve exposé à des doses quotidiennes
peut-être plusieurs milliers de fois supérieures aux limites de
sécurité, explique André Cicolella. Dans le cas des produits de
nettoyage et d'entretien, si le temps d'exposition est peut-être
moins long, le contact avec la peau est plus important ",
ce qui induit une exposition très nettement supérieure.
Le
mutisme des fabricants
Les fabricants restent étonnamment
muets sur la composition de leurs produits. Édifiant, le cas des
peintures à l'eau. " Secret industriel " oblige, aucun
pot ne fournit d'indication sur ses composants. Contacté, l'Institut
national de recherche et de sécurité (INRS), chargé de l'évaluation
des risques des solvants toxiques, renvoie vers les industriels.
"Les compositions évoluent", tente de justifier un interlocuteur.
Et d'ajouter : " L'information est difficile à trouver ".
Sur douze fabricants interrogés, seuls deux acceptent de fournir
la liste des éthers de glycol utilisés dans leur peinture à l'eau.
D'autant plus facilement que les marques Nature et habitat et
Caparol n'utilisent " aucun éther de glycol " dans leur
gamme grand public. Côté revendeurs, on baigne dans l'ignorance.
Ce spécialiste du bricolage conseille à la femme enceinte les
peintures à l'eau : " Il y a moins d'odeur ". Dans cette
grande surface, le vendeur reconnaît : " Si on doit tout
vérifier, on arrête tout ". Et de conseiller également la
peinture à l'eau. Contrairement à ce qu'affirme la Fédération
des industries de peintures (Fipec), aucune " fiche sécurité
" n'est mise à la disposition du client. " La consommatrice
est libre de faire ce qu'elle veut " semble-t-on défendre
à l'INRS, si elle a un doute, elle n'achète pas. " À la Direction
générale de la consommation et de la répression des fraudes, on
n'en sait pas plus : " Si un produit est sur le marché, c'est
qu'il ne peut pas être dangereux ", assure un inspecteur
du bureau peintures et vernis, il ne contient pas de produits
toxiques... en principe. " Côté professionnel aucune interdiction
ne s'applique. Seules obligations, un étiquetage " tête de
mort " dans le cas des éthers de glycol dangereux. Pour les
autres, classés toxiques pour la reproduction de catégorie 2 (toxicité
possible chez l'animal, pas prouvée chez l'homme) : la mention
" toxique ", " peut nuire à la femme enceinte ".
" Pour les travailleurs, le
suivi est mieux structuré, explique-t-on à l'INRS. À la différence
du simple consommateur, il est plus réceptif à la prévention,
il a mieux conscience des risques. " Le cas de Claire Naud,
son témoignage, laisse penser le contraire. Le Pr Jean-Claude
Soufir, qui dirige le service biologie de la procréation à l'hôpital
Bicêtre (Val-de-Marne), confirme : " Il est certain que je
reçois des hommes qui consultent pour des problèmes de stérilité
et qui sont en contact avec les éthers de glycol. " Depuis
la remise du rapport de l'Inserm " Éthers de glycol "
en octobre 1999, le ministère de l'Emploi promet la mise en place
des mesures préconisées par les experts. Promesses réitérées cet
été... pour l'automne : meilleur contrôle médical des travailleurs
exposés, protection de la femme enceinte, protection individuelle
renforcée. Le tout sur fond de réglementation française qui prévoit
l'évaluation des risques à la charge de l'employeur. La CGT, la
CFDT et la Fédération nationale des accidentés du travail et des
handicapés (Fnath) doutent de l'efficacité de telles mesures :
" L'expérience de l'amiante montre que l'on ne peut se fier
à la seule volonté de l'employeur ".
Quant au suivi des travailleurs,
comment le mettre en place ? S'agissant par exemple, de la possible
baisse de la qualité du sperme, imagine-t-on sérieusement des
" prélèvements à la source " dans les entreprises concernées?
La femme enceinte sera écartée des postes de travail exposés,
promet également le ministère de l'Emploi. Cette précaution devrait
être prise dès la conception, avant même que la femme ne sache
qu'elle attend un enfant. Et avant la conception ? On semble aussi
ignorer que l'atteinte de l'embryon peut être la conséquence d'une
exposition du père autant que de la mère ? " Au même titre
que l'amiante, l'usage des éthers de glycol ne peut être maîtrisé,
son utilisation avec un prétendu usage contrôlé, relève de la
pure fiction ", dénonce la CGT. Pour la Fnath, une seule
solution : l'application du principe de précaution, comme dans
le cas de la " vache folle " ou des OGM. " La seule
solution cohérente est aujourd'hui de préconiser l'interdiction
des éthers de glycol, toxiques pour la reproduction, tant au plan
domestique que professionnel ", revendiquent ses responsables
Seront-ils entendus ? La Commission de sécurité des consommateurs
(CSC), sous tutelle du ministère de l'Économie, des Finances et
de l'Industrie, devrait émettre, mi-octobre, un avis allant dans
le sens des conclusions des chercheurs de l'Inserm et de l'Ineris.
Ces derniers recommandent " la modification du classement
toxicologique des éthers. Le consommateur doit
savoir si certains produits, lave-vitres, peintures, produits
capillaires, contiennent ou non des éthers et quelles sont les
précautions d'usage ". Après cet avis, soit le gouvernement
continue, à l'instar des industriels, à faire la politique de
l'autruche, soit il s'engage dans une véritable politique de gestion
des risques toxiques.
Hervé Brezot
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